Zigoto zigzagant sans hésiter de Larrau à Ossau (26 & 27 juillet 2005)
ce qu'offrent les brumes
c'est la possibilité de croire
qu'il n'y a rien, tout plein de rien, tout autour
l'obscurité, c'est encore quelque chose
un espace qui se définit
en montrant son propre vide
Les brumes, diurnes, c'est vraiment rien
--
tu arrives à Larrau, le village
on dirait un rassemblement
chez les morts, cimetière sous la lumière
non ! une vache a beuglé
et un être vivant passe, à pieds, c'est un homme
--
mais Larrau, là haut, de nuit...
c'est deux terres qui se rejoingnent
et c'est le ciel qui fait le lien
--
la Grèce était adolescente
encore découvreuse, inventive
mais elle ne voyait pas sa propre enfance
comme nous pouvons maintenant le faire
c'est pourquoi nous sommes tristes et un peu mous
--
les choucas se posent
comme les nappes d'un pique-nique noir
les pottoks jouent aux indiens
en silhouette sur la crête
les moutons coulent
dans les chemins d'hier et d'avant-hier
de minuscules rapaces guêpent dans l'air
puis piquent l'herbe courte
--
je prétends me moquer de l'argent
mais je suis si soucieux
de retrouver le temps que je perds
et le temps est tellement lié à l'argent
que je me demande si je ne suis pas
un banquier refoulé
--
leçon de modestie :
grimpe la plus haute montagne que tu vois
contemple le paysage
ton sommet en cachait un autre plus haut encore
sur cette autre montagne une silhouette minuscule
contemple le paysage
--
l'homme est un contemplatif
mais un contemplatif nombriliste
un contemplatif jaloux :
voyez les satellites
ils regardent presque tous vers le bas, la Terre
--
j'ai oublié le nom de ces montagnes
et c'est mieux ainsi
elles redeviennent nouvelles pour moi
peut-être Hérodote a-t'il inventé l'histoire
par soif de comprendre
mais Thucidide et ses successeurs
par nostalgie du passé ?
--
je ne serai jamais seul !
serais-je jamais seul ?
fais ta photo et casse-toi
je regarde les fleurs...
--
je dis : "fais ta photo et casse-toi"
mais je sais très bien que deux minutes après
si je fais ta connaissance
je serai plus tolérant
c'est parce que je veux être seul
tu peux donc faire deux photos
et rester trois minutes
--
ce sommet n'était pas bien haut
puisque tous s'y retrouvent
pourquoi viser des sommets ?
tout le monde tend à grimper
essayons plutôt les gouffres et les abîmes
--
personne n'est parfait
les chats qui se lavent sans cesse
ont tout de même le cul sale
et les chiens réputés crados
se lèchent consciencieusement le cul
--
maintenant je sais
que l'ombre portée des nuages
ne pousse pas les moutons
l'inverse est aussi vraie :
les moutons n'ont aucune influence
sur le comportement des nuages
c'est important de bien saisir
les relations de causes à effets
--
observé une petite butineuse
un genre de guêpe ?
elle s'agitait avec une frénésie telle
sur les fleurs chiches du versant aride
et avec de grandes convulsions de l'abdomen
que ses cousines de la vallée semblent bien tièdes
peut-être le plaisir est-il plus fort en montagne
parce que la belle saison est trop courte ?
--
immortel pourquoi pas ?
faut discuter des modalités
il est de bon ton mais c'est hypocrite
de se vanter d'être mortel
l'immortalité est bonne à prendre
à condition de pouvoir l'interrompre...
momentanément et à volonté
--
le reste est une question de mémoire
ne pas en trop avoir comme un enfant étourdi
--
des gendarmes ont croisé des flics
et je vous jure qu'ils se sont fait
un signe d'intelligence
--
2 homos en VTT moulant
ça sentait l'homme qui veut sentir bon
dans ce couple il y avait encore un mâle et une femelle
--
et vous, vous vous parfumez pour aller en montagne ?
je ne me parfume pas pour venir à elle
je sens la bête et plus je monte pire c'est !
et j'oubliais
mes pieds dans les bouses de vaches, au départ
comme un paillasson pour la montagne
--
ces hauts sommets, j'y vois l'horreur
pas celle, imagée, des os de la Terre
qui la percent et pointent au ciel, secs
mais l'horreur qui tétanise l'alpiniste
l'inhumanité de la montagne indifférente
une armée de géants ils attendent on ne sait quoi
dans si longtemps que ça ne nous concerne pas
--
puis ça va mieux lorsque je me dis
que je suis bien une fourmi
une fourmi, je suis bien
--
le plus admirable chez Monod
c'est qu'il écrivait debout
--
ici, c'est lunaire et escarpé
personne sinon encore des marmottes
leur alerte stridente, tout près, cette fois
mais sans que je puisse voir les ventres roux
qui ballottent et se cachent
ici, c'est lunaire, des éboulis énormes
pas de carte et la vue est bouchée par le relief
pas de carte comme les premiers hommes
qui n'écrivaient pas et confiaient à leur mémoire
ce qu'ils vivaient ici ou là
ils devaient mourir aussi
dans ces lieux où on demeure étranger
ils savaient parfois l'heure de leur mort
l'attendre sans faux espoir
et trouver comme une sérénité
un faux pas, une cheville pétée et c'est terminé
--
j'ai justement ce goût de la vie à la bouche
cette vitalité qui transporte et c'est bon !
--
l'Ossau est un gros con sombre, il est là
tapi juste derrière le rempart des éboulis lumineux
et puis il faut bien justifier
le titre d'iconoclaste
monstre sacré, pierre noire dont on fait le tour
--
Oh ! passé l'éboulis j'ai devant moi
ce grand idiot deux fois pointu
il a de longues coulées de neige
encore blanches quoiqu'un peu pisseuses
--
et là, devant, à dix mètres, un lit de glace
coulé dans un petit cirque de cinquante pas
elle est là et je ris, et je répète :
"de la neige... la neige..."
mais je n'y vais pas, ménageant mon plaisir
--
ce mini-glacier est impressionnant
il ne doit jamais fondre
au bord des roches desquelles il se détache
je vois des failles de deux mètres
je ne sais pas sa profondeur
--
la neige fondue est sale
cela fait comme des vaguelettes en négatif :
l'écume est noire, les creux restent blancs
ici et là, des petits tas de crottes
des moutons viennent-ils aussi haut ?
des crottes de cette dimension en tout cas
sauf qu'elles ont un bout pointu
à côté, d'autres tas de crottes plus épars
et de plus petite taille, à peine plus grosses
que celles d'un cochon d'inde
voilà pour la coprologie
--
et l'Ossau qui attend
faisons-le patienter comme un qu'on ignore
et quand je serai à le toucher :
"tiens, vous, ici ?"
--
ici, c'est un plateau
en face du grand éboulis Est de l'Ossau
les caillasses et les rochers le disputent à l'herbe
mais celle-ci parvient à monter en graines
elle n'est pas broutée rase comme en bas
mais de qui sont ses crottes, toutes ces crottes ?
--
à l'abri du vent l'air est presque chaud
le soleil tape la pierre, un endroit pour manger
--
en bas je distingue un chemin
une petite tâche rouge. une autre blanche
elles se déplacent vite
sans doute les deux potes en VTT
--
depuis que je contemple le colosse
les nuages n'ont cessé de le repeindre
et le vent le fait chanter aussi
c'est une grande voix puissante
beaucoup de souffle mais complètement détimbrée
il murmure, le géant ?
--
putain !
un type vient de passer à dix pas de moi...
je ne sais pas s'il m'a vu dans les rochers
il est passé sans doute aussi par le petit glacier
un qui marche seul hors des chemins et en silence
tout de même équipé des lunettes Matrix idoines
et des bâtons de skis cliquetants sur les cailloux
--
l'Ossau a bougé !
non, je déconne
le pauvre géant fait pitié, il est bien vieux
et tout tailladé par le vent, la pluie, le gel
ses aplombs ne sont que rides et cicatrices croisées
--
et cet immense éboulis, c'est le début de son repos ?
de la fin ? c'est par là qu'il s'en ira, il coulera
comme une eau modeste et s'allongera dans le lit
qu'il a contemplé des millénaires
--
dans les petites boutiques des villages en France
comme en Espagne il est impossible d'éviter
cet enfoiré de Nestlé (lait concentré)
enfoiré parce que Nestlé refourguait des tonnes de
lait périmé en Colombie et c'est peut-être la moindre
de ses activités criminelles... enfoiré !
--
un petit lac, plutôt une retenue d'eau
le vent est si violent qu'il arrache de l'écume
on dit en mer des "moutons"
des vaguelettes attaquent les rochers
à petits bruits secs
--
un troupeau au bord du lac. des hommes
parmi les couleurs si voyantes
quelques individus discrets
étaient habillés simplement
pas tondus à la fameuse coupe hygiénique
voir même des cheveux longs
l'un d'entre eux était "avachi" et ça fait plaisir
de voir qu'il reste encore des hommes
peut-être ceux-là n'ont-ils pas tété du lait Nestlé ?
--
je pensais aux pointillés des tickets-restaurant
j'ai bouffé du ticket-resto un bon nombre d'années
ils ne se déchirent jamais selon les pointillés
pourtant à l'autre bout de la chaîne alimentaire
ledit découpage selon les pointillés
est bien au point. je pense au PQ
--
encore des gros tas de neige glacée
ça doit avoir un nom ; névé ?
celui-là ressemble à une limace énorme
lovée au creux pour garder le frais
--
le vent lance des bordées contre le premier pic
je suis à son chevet, juste à l'endroit
où la roche verticale plonge sous l'éboulis
je vais essayer de le traverser pour rejoindre
de l'autre côté, l'autre verticale d'Ossau, la grande
--
j'ai posé les mains à plat
contre la muraille monstrueuse
j'ai fermé les yeux, et, même si je me méfie du sacré
je l'ai vraiment sentie
c'est plutôt animiste
de l'ordre de la sensation. c'était dans mes mains
j'ai regardé la roche, de tout près, un filon rouille
levé les yeux jusque tout en haut, lentement
et la bête s'est penchée un instant
mais un nuage l'a coiffée et m'a libéré gentiment
j'ai dit à voix haute à l'attention d'Ossau :
"saloperie"
un peu comme le marin crache à la mer
crainte et respect
--
l'éboulis est tantôt de graviers qui coulent comme
de l'eau tantôt de grandes roches qu'il faut escalader
deux fois, j'ai glissé et j'ai eu peur
c'est lui, c'est l'Ossau, qui a soufflé !
je croyais que le vent venait d'Est et l'attaquait
mais il tombe littéralement d'en haut,
d'entre les deux falaises
c'est la grande gueule de l'Ossau
celle qui vomit l'énorme éboulis
et qui souffle comme un Charybde pour me faire tomber
pourtant, en bas, pas d'autre danger
sinon la chute elle-même
--
j'ai dérangé deux isards, ils sont beaux
quelle élégance sur ces quatre sabots !
et moi, si lourd, simiesque
ils semblent plus petits que nos chevreuils d'en bas
ils s'éloignent prudemment et me regardent
ils ont rejoint deux autres isards que je n'avais pas vu
et les quatre attendent
ce sont des perles de beauté dans ces rocs terribles
ils sont inquiets, ils semblent attendre,
ils tournent sans cesse la tête derrière eux
j'entends des petits bruits de pierres dérangées
mais je ne vois rien
un isard s'est finalement couché au soleil
je suis assis au milieu de l'éboulis
je vais repartir
--
nouvelle pause. je n'avais pas traversé la moitié
il faut choisir chaque pierre
et espérer qu'elle sera stable
les pires endroits où les roches sont petites
cèdent sous le pas et entraînent les plus grosses
des glissements se forment parfois, derrière moi
des pierres ont déboulé sur presque cinq mètres
j'ai mal aux chevilles. devant, ce sera pire encore
parce qu'il faudra descendre en même temps. raide
--
je sais bien que c'est très con d'agir ainsi
je le savais avant d'y aller mais je voulais le faire
j'ai quelques fois joué à ça
une fois avec Alexandre qui était resté sur le côté
une autre avec Isabelle et Sébastien
on avait couru comme on saute dans une pente de sable
provoquant l'avalanche en guise de toboggan
un cailloux avait même éclaté mes lunettes
mais c'était de petits éboulis
--
amusant
sur la couverture de mon carnet un auto-collé avec :
"si un jour tu meurs préviens moi..."
--
ça y est j'ai atteint l'autre à-pic
même prière imbécile et muette
les mains sur la muraille
--
maintenant je suis un peu emmerdé
parce que je ne suis pas assez descendu
et l'éboulis est le même au pied du monstre
en plus raide encore au point que la pente
se cache elle-même à mon regard
--
je me tire !
il pleut des petits cailloux à chaque coup de vent !
--
je suis en bas ou presque
l'herbe revient entre les roches
c'était très curieux cette pluie de pierres !
je ne connaissais pas
le gel éclate des copeaux de roche en hiver
puis l'eau mais aussi le vent les détachent
de la vieille paroi burinée et il pleut de la roche
--
ici, ça peut encore tomber mais
l'homme a inventé la statistique pour se rassurer
je me suis tout de même retourné et levé vite fait
lorsque derrière moi j'entendis un bruit de pierre
comme lorsque je les faisais bouler
--
fini l'éboulis (sur un air chanté)
c'était donc très con mais heureux de l'avoir été
--
sur le chemin que j'ai rejoint j'ai vu deux fois
des impacts sur la roche fendue en étoile
comme si d'autres rochers avaient percuté
exactement là verticalement et très violemment
c'est impossible, bien entendu, aussi loin des à-pics
je crois que les roches les plus grosses
ont été dynamitées pour dégager le chemin noyé
--
deux futurs mémés
courageuses mais légèrement indignées
peinent dans le passage aménagé dans les roches
--
encore un petit lac tout propret
je vais me déchausser et tremper les pieds
cela aussi doit être interdit
--
j'étais décidé à rentrer par le chemin tracé
mais à un coude, j'ai plongé tout droit
et j'ai couru dans la pente herbeuse
marre des regards détournés marre des bonjours
je me poliçais pourtant, mais je voudrais
être chèvre ou babouin ou chien
pas un chien qui mord mais un animal
que l'homme ne concerne pas
--
un couple teuton me fait un sourire
aux dents parfaites
je le leur rends sincèrement
gentillesse non forcée
Idir chantait :
"éloignez vos tentes et rapprochez vos coeurs"
--
Ah ah ! qui est ce fou qui dévale la montagne ?
je me rassure comme je peux
si j'oublie souvent quel jour on est
je sais toujours quel jour je suis
ou quelle nuit
--
de nouveau les vaches, les pottoks et les moutons
deux béliers ont trotté vers moi, regards méfiants
je trottais aussi en descendant, j'ai dit bonjour
--
j'ai grimpé, couru et marché pendant 7 heures
--
par acquit de conscience mais a posteriori
je suis allé lire un panneau à 200 mètres
je m'en doutais, "Parc Naturel National"
VTT interdits, tiens !?
sortir des chemins balisés aussi
je m'en souvenais mais je n'en ai rien à fiche
parce que vous savez ce qu'est un Parc Naturel ?
c'est une zone mal protégée
et ridiculement trop petite
mais autour de laquelle
on s'autorise les pires pollutions
on s'offre pour pas cher
un petite zone d'âme tranquille
moi itou